Dix-huit créations inédites, en lien plus ou moins direct avec l'univers du lyrique et de la danse, sont à découvrir dès ce mardi sur la nouvelle scène virtuelle de l'Opéra national de Paris.
On lui connaissait déjà deux maisons : le vénérable Palais Garnier (depuis 1875) et le plus moderne opéra Bastille (depuis 1989). Mardi 15 septembre, l'Opéra national de Paris ouvre une "3e Scène" sur le web. Unique en son genre, d'accès gratuit, sans frontières et sans limitation de jauge ni de durée, elle existe indépendamment de ses sœurs aînées, puisqu'il n'est pas question d'y reprendre les contenus audiovisuels liés à l'actualité de la saison : c'est l'affaire du nouveau site de l'Opéra et de son magazine numérique (qui remplace désormais le magazine papier, avis aux habitués qui se demandaient pourquoi il avait disparu des présentoirs), où l'on peut trouver aussi bien un petit portrait de la soprano Julie Fuchs, exquise et délirante Folie dans Platée, que de précieuses archives sur le compositeur Arnold Schoenberg (1).
Confiée à Dimitri Chamblas, son directeur artistique, au dramaturge Christian Longchamp et à Benjamin Millepied, directeur de la danse, la 3e Scène ne propose que de la création numérique originale, réalisée par des artistes a priori sans rapport direct avec l'univers du lyrique et de la danse. « La 3e Scène s'inscrit en regard de notre nouveau site Internet, et fait partie d'un projet numérique global »,explique Stéphane Lissner, directeur de l'Opéra national de Paris.
« Je me demandais qui pouvait parler de l'opéra, de la musique, du chant, de la danse, ou même de l'architecture de Garnier, au public, jeune et moins jeune, qui ne venait pas voir nos spectacles. Nous sommes allés chercher pour cela des artistes qui ont naturellement un lien avec ces communautés, et ne sont pas, comme elles, “spécialistes de la spécialité”. A ces artistes, nous commandons des œuvres que nous produisons seuls, qui sont la propriété de l'Opéra de Paris et qui constituent le début d'une collection. Je ne pense pas que l'Opéra puisse se contenter, pour élargir ses publics, d'emmener ses spectacles dans les cinémas ou sur le streaming. C'est très bien, il faut le faire. Mais avec le langage du numérique, il y a un potentiel extraordinaire. On le constate dans les propositions que nous font les artistes, et nous n'en sommes qu'au début ! »
La 3e Scène est dotée d'un budget de deux millions d'euros, alimenté à plus de 50% par le mécénat privé. Elle proposera une trentaine d'œuvres inédites par an. Dix-huit créations sont d'emblée mises en ligne ce mardi. « On invite des réalisateurs, des photographes, des dessinateurs, des écrivains, à créer des objets en lien avec l'opéra. Ce lien peut être très ténu, ils peuvent même travailler sur le fantasme de l'opéra », explique Dimitri Chamblas, directeur artistique.
« Nos locaux n'apparaîtront que s'ils sont inspirants pour l'artiste. Le collectif anglais UVA, par exemple, n'est pas venu, et a seulement demandé qu'on envoie une de nos danseuses à Londres pendant une demi-journée. Quand Mathieu Amalric suit la soprano Barbara Hannigan tout l'été, et documente ainsi sa découverte et sa fascination pour le travail de la voix, il établit un premier lien avec l'opéra, le deuxième étant que Barbara Hannigan chante La Voix humaine cet automne au Palais Garnier. »
Etonnamment juste et très sensuel, le très beau film C'est presque au bout du monde, de Mathieu Amalric, fait partie des cinq créations qu'on a pu découvrir en avant-première. Un échantillon représentatif de la variété des modes d'expression choisis. Aussi atypique qu'abouti, Intermezzo fait découvrir petit à petit, à la manière d'un rouleau japonais, la fresque de neuf mètres de long où la dessinatrice Carine Brancowitz raconte les coulisses du Ballet. Tandis que la réalisatrice et photographe Loren Denis décline un Abécédaire pétillant et ironique autour des passages secrets ou obligés de Bastille et Garnier, l'artiste plasticien Xavier Veilhan recrée tout un monde déroutant et abstrait dans Matching Numbers. Un peu plus attendu, Etoiles, I see you, de la réalisatrice Wendy Morgan, magnifie le corps dansant de l'Américain Lil Buck.
Toutes les expériences semblent possibles. « Cette scène-là permet beaucoup parce qu'elle n'a pas d'exemple ni d'histoire », commente Dimitri Chamblas. « Un film peut être une fulgurance d'une minute ou en durer quinze, les photographes doivent à chaque fois s'interroger sur la meilleure façon de montrer leurs photos, on crée des danses originales plutôt que d'en capter... Il s'agit d'inventer de nouvelles grammaires liées à l'image de la musique et de la danse, avec une liberté de format qui crée des objets fous, et c'est ce qu'on voulait ! »
La sélection des artistes constitue évidemment le gros du travail du comité de rédaction de la 3e Scène, puisque, dit Dimitri Chamblas, « une fois qu'ils sont là, on les laisse travailler et nous surprendre. Pour la première année, on a choisi des gens comme Bertrand Bonello, grand cinéaste et fou de musique, parce que ça nous plaît qu'il passe du temps dans cette maison, qu'il rencontre les chœurs de l'Opéra, et qu'il écrive quelque chose pour eux (2). Nous avons invité Xavier Veilhan parce que sa problématique des espaces nous intéressait, et qu'on savait qu'il la traiterait chez nous d'une manière inédite, parce qu'il n'est pas dans la fascination ni dans l'icône. Glen Keane a fait La Petite Sirène et Tarzan chez Disney, et sa manière d'animer les personnages est inégalée. Nous voulions que cette animation très fluide rencontre la danse, et pas avec des souris ou des chats, mais avec des danseurs d'ici... »
Librement consultables sur la salle d'exposition virtuelle que leur offre la 3e Scène, les œuvres n'ont pas vocation à s'y pétrifier, mais à circuler, sur le web comme dans des lieux plus « physiques ». C'est un souhait de Stéphane Lissner, et le processus est déjà amorcé. « Ça s'est fait tout seul, sourit Dimitri Chamblas. Par exemple, Julien Prévieux, prix Marcel Duchamp 2014, a une exposition à Beaubourg à la fin du mois, dont la grande œuvre sera Patterns of life, qu'il a fait avec la 3e Scène. Le film de Mathieu Amalric sera montré à la Cinémathèque. Celui de l'Américaine Alex Prager, La Grande Sortie, figurera en novembre à son exposition de la Galerie des Galeries. Pour le moment, c'est juste une intuition, mais ça nous plaît évidemment beaucoup de collaborer avec des institutions comme la Tate de Londres, le Centre Pompidou, le Palais de Tokyo, etc., pour que ces œuvres soient vues et partagées par le plus grand nombre. »
(1) Il se trouve au cœur d'un cycle orchestral et lyrique qui commence le 16 septembre, ce premier concert ayant lieu, comme celui dédié aux Gurre-Lieder (le 19 avril 2016), à la Philharmonie de Paris.
(2) Son œuvre sera mise en ligne fin décembre. Celle de l'écrivain Eric Reinhardt est programmée pour la fin du mois d'octobre.
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